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langue, société

Vers une révolution dans l’enseignement du néerlandais en Wallonie en 2027?

26 avril 2024 7 min. temps de lecture Entre voisins: Wallonie et néerlandophonie

L’enseignement du néerlandais en Wallonie fait l’objet d’un certain désamour, mais 2027 pourrait marquer le début d’un temps nouveau: le projet de rendre obligatoire l’apprentissage du néerlandais est sur la table. Pour qu’il se réalise, toujours faut-il que les conditions politiques et logistiques puissent être remplies.

En Belgique, les compétences en matière d’enseignement sont depuis 1989 l’apanage des trois Communautés: la Communauté flamande, la Communauté française (usuellement dénommée Fédération Wallonie-Bruxelles ou FW-B depuis 2011) et la Communauté germanophone.

En Communauté flamande et en Communauté germanophone, le français est obligatoirement la première langue moderne. Pour la Communauté française en revanche, il faut distinguer les écoles francophones situées en Région bruxelloise, dans lesquelles le néerlandais est imposé, des établissements scolaires situés en Wallonie, qui ont la liberté de proposer l’allemand, l’anglais ou le néerlandais comme première langue moderne.

On note également des différences importantes entre les Communautés pour ce qui concerne l’organisation de l’enseignement «en immersion» des langues modernes. L’organisation de cours de matières non-linguistiques (par ex. histoire, sciences) dans une langue autre que la langue de scolarisation est systématiquement soumise à une autorisation délivrée par le ministère de l’Enseignement de la Communauté concernée.

Quelques écoles ayant pratiqué l’immersion de manière informelle depuis les années 1980, la Communauté française de Belgique a été contrainte de légiférer dès 1998. En Flandre, ce n’est qu’en 2014, après un projet expérimental dans une dizaine d’écoles, que le législateur a adopté un décret sur l’enseignement immersif. Tant en Flandre qu’en Wallonie, les écoles peuvent proposer l’enseignement en immersion dans trois langues: l’allemand, l’anglais et le néerlandais en Wallonie/le français en Flandre. En Communauté française, l’immersion est possible de la troisième maternelle à la fin du secondaire, tandis que la Flandre réserve l’immersion à l’enseignement secondaire.

Attitudes négatives

Ne nous voilons pas la face: l’enseignement du néerlandais en Fédération Wallonie-Bruxelles se trouve –malgré quelques lueurs d’espoir– à différents niveaux sous pression, voire en difficulté. En effet, même si la Wallonie reste la région du monde avec le plus grand nombre d’élèves du primaire et du secondaire qui suivent des cours de néerlandais en tant que première, voire deuxième langue moderne, la tendance –qui était déjà bien perceptible fin des années 1990– s’est renforcée: le néerlandais est depuis plus de quarante ans de moins en moins choisi comme première langue moderne par les élèves de première année du secondaire.

Depuis une petite dizaine d’années, l’anglais a même détrôné le néerlandais en tant que première langue moderne en Wallonie. Actuellement, plus de 60% des élèves de première année secondaire inscrits dans l’enseignement traditionnel choisissent l’anglais. Les raisons invoquées (le plus souvent par les parents) ont systématiquement trait au statut international de l’anglais, aux attitudes négatives, parfois hostiles vis-à-vis de la langue néerlandaise, ainsi qu’au fait que l’apprentissage du «flamand» (dénomination dénigrante que l’on entend encore très souvent) serait «inutile».

Ceci est d’autant plus étonnant que – toutes les études menées auprès des employeurs le montrent – le néerlandais constitue encore un atout (souvent déterminant) sur le marché de l’emploi. En d’autres termes: si les francophones n’apprennent pas le néerlandais durant leurs études, ils seront fréquemment contraints de faire une croix sur les nombreux emplois qui requièrent le néerlandais, en particulier en Région bruxelloise, ou de malgré tout l’apprendre… après la fin de leurs études.

Le choix de l’anglais au détriment du néerlandais est d’autant plus étonnant que toutes les études menées auprès des employeurs montrent que le néerlandais constitue encore un atout sur le marché de l’emploi

Le désintérêt patent pour le néerlandais dans l’enseignement secondaire ne se retrouve cependant pas dans l’enseignement en immersion, dont le succès est sans cesse croissant. Certes, le nombre d’élèves inscrits en immersion ne correspond qu’à un peu moins de 5% de la population scolaire totale en FW-B, mais contrairement à la situation dans l’enseignement traditionnel, le choix de la majorité des élèves se porte sur le néerlandais comme langue d’immersion. Il faut souligner l’initiative encourageante prise par le Parlement de la FW-B d’organiser de janvier 2023 à janvier 2024 des états généraux de l’immersion. De nombreux participants à ces états généraux ont entre autres mis en avant les bienfaits tant linguistiques que socioaffectifs de l’immersion, non sans relever quelques points dignes d’attention, dont la pénurie d’enseignants et le manque criant de matériel didactique.

Le chemin difficile vers la révolution

Ces dernières années, deux autres décisions importantes pour l’enseignement des langues ont été prises dans le cadre du Pacte pour un enseignement d’excellence. D’une part, en septembre 2023, l’apprentissage de la première langue moderne (allemand, anglais ou néerlandais) –qui était obligatoire en Wallonie dès la cinquième primaire– a été avancé à la troisième primaire. D’autre part, sous l’impulsion de Caroline Désir, ministre de l’Éducation en F-WB, a été adopté le principe de l’obligation d’apprentissage d’une langue nationale comme première langue moderne dès cette même troisième primaire.

Cette obligation actée politiquement en octobre 2022 devrait entrer en vigueur en 2027. Il s’agit véritablement d’une petite révolution, puisque l’objectif est ni plus ni moins de s’aligner sur la situation à Bruxelles et en Flandre, où une seconde langue est imposée depuis toujours. Dans la plupart des écoles wallonnes, ce sera bien évidemment le néerlandais qui sera proposé aux élèves, ce qui n’est pas sans étonner et même irriter toute une série d’acteurs. En effet, il faut d’abord savoir que beaucoup de parents trouvent cette obligation anachronique (arguant du fait qu’il faut avant tout apprendre l’anglais, langue internationale par excellence) et contreproductive (vu la faible motivation de la part des élèves).

En outre, il va falloir trouver rapidement des solutions structurelles à la pénurie de plus en plus criante d’enseignants de néerlandais. L’obligation du néerlandais dès la troisième primaire accentuera ce phénomène de manière significative. Des initiatives intéressantes pour pallier le manque d’enseignants voient le jour, mais, faute d’une politique ambitieuse en la matière, le risque est grand de voir les directions d’école confrontées à des situations totalement ingérables qui conduiront inéluctablement au report de l’obligation.

le principe de l’obligation de l’enseignement du néerlandais est acté politiquement, mais il n’existe actuellement aucun décret imposant cette mesure

Une piste envisageable est de faire appel à des enseignants provenant de l’autre Communauté. Or la Flandre est elle-même en proie à une pénurie d’enseignants. En outre, les Flamands sont moins enclins à venir enseigner en Wallonie depuis la mise en œuvre en 2022 de la réforme du calendrier et des rythmes scolaires. Cette réforme, dont l’objectif est –selon les concepteurs du Pacte pour un enseignement d’excellence– de mieux répondre aux besoins chronobiologiques des élèves pour favoriser les apprentissages et renforcer le bien-être, a un effet inattendu: les Flamands qui viennent enseigner en Wallonie, par exemple en immersion, se retrouvent dans une situation où leurs vacances scolaires ne sont plus alignées sur les vacances de leurs propres enfants fréquentant l’enseignement néerlandophone secondaire ou supérieur.

Suite à cette mesure, certains enseignants flamands sont d’ailleurs retournés enseigner en Flandre, ce qui accentue encore la pénurie. Dans ce contexte, il faudra être attentif à ce que l’obligation du néerlandais ne soit pas repoussée sine die, d’autant plus que, si le principe de l’obligation est acté politiquement, il n’existe actuellement aucun décret imposant cette mesure. Faute de décret voté d’ici à la fin de la législature, ce sera à la majorité qui sortira des urnes en juin 2024 que reviendra la décision de mettre (… ou pas) cette mesure en application.

Soyons positifs

Enfin, si on se place du côté des élèves, comme l’a fait la Nederlandse Taalunie (Union de la langue néerlandaise) en 2019-2020 dans une enquête menée auprès d’apprenants du néerlandais issus des régions limitrophes des aires néerlandophones, plusieurs éléments nous invitent à l’optimisme: la majorité des élèves sont satisfaits de leur choix du néerlandais comme langue moderne. La plupart des élèves francophones perçoivent d’ailleurs clairement l’utilité du néerlandais pour les perspectives d’emploi.

Les élèves signalent que tant l’actualité que la culture des pays néerlandophones sont insuffisamment abordées dans les cours. Afin de rencontrer la demande des élèves, la Taalunie met chaque mois une leçon-modèle sur un sujet d’actualité ou un aspect culturel des Pays-Bas ou de la Flandre à disposition des enseignants (Hapklaar Nederlands – Le néerlandais en bouchées). Par ailleurs, les élèves souhaiteraient également plus d’échanges et de partenariats avec des écoles de l’autre côté de la frontière linguistique.

Les éléments ci-dessus montrent clairement que l’enseignement du néerlandais en Fédération Wallonie-Bruxelles est à la croisée des chemins. Imposer l’apprentissage du néerlandais comme langue moderne aux francophones est une évidence, mais cela ne pourra vraiment se réaliser que si toutes les conditions (politiques et logistiques) sont réunies.

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Philippe Hiligsmann

professeur en langue et linguistique néerlandaises à l'UCLouvain

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